Visite du centre de rétention administrative de Vincennes

Publié le par David

 J'ai fait un compte rendu de ma visite au centre de rétention de Vincennes. Ce centre de rétention administrative est en fait un lieu carcéral sans en avoir les règles. Il est conçu comme un lieu de passage rapide, or certains y restent plusieurs semaines, et y ont plusieurs séjours.

LA PRESENCE DE LA CIMADE ET DE L'OMI

Selon le chef de Cabinet du Préfet de Police et les responsables du centre présents à cette visite, ce centre hébergeait, au 1er avril 2005,  119 personnes, exclusivement des hommes, âgés approximativement de 25 à 35 ans. 132 places sont disponibles pour une capacité d'accueil de 146. La population est originaire pour moitié, du Maghreb, l'autre,  répartie entre l'Afrique de l'Ouest, l'Est de l'Europe et l'Asie. La durée moyenne du séjour d'un " retenu " est de 13 jours. Les représentants de la CIMADE affirment qu'elle est plus longue, la durée légale maximale étant de 32 jours. La durée de séjour du " retenu " est tributaire, selon des responsables du centre, des audiences hebdomadaires assurées par les consulats d'Algérie, du Maroc et de la Tunisie et par les procédures d'accompagnement vers d'autres consulats.


DESCRIPTION DES LOCAUX - EQUIPEMENTS

Le centre est constitué de deux bâtiments parallèles, le premier appuyé à un talus au sommet duquel se trouve le second. Il s'ensuit que la moitié du  rez- de- chaussée du premier est aveugle. C'est là où sont situés le parloir et les bureaux de l'OMI et de la CIMADE.

Le premier bâtiment est divisé en trois zones
-l'accueil
-le sas
-le rez-de-chaussée de la rétention

L'exiguïté du CRA est particulièrement sensible au rez-de-chaussée :  couloir étroit, salle de fouille de 8 à 9m2, parloir  dans lequel les consuls et les avocats disposent d'une cabine vitrée d'environ 3 m2. Les espaces  de travail des personnels de justice et l'infirmière sont étroits mais  bénéficient d'une fenêtre. De l'autre  côté du couloir l'OMI (2 personnes) et la CIMADE (2 personnes)  disposent de deux " bureaux " de 6m2, sans fenêtre.

Nous accédons dans la zone de rétention par une petite porte derrière laquelle les " retenus " se pressent. Une cour avec un auvent  constitue un petit espace commun sur lequel donne la cantine.

Les chambres au premier étage ont une superficie de douze à quinze mètres carré pour trois ou quatre " retenus ". Les toilettes et les douches étaient correctement nettoyées.

Le talus qui sépare les deux bâtiments fait office de cour de promenade c'est-à-dire qu'il n'y en a pas vraiment.

 Le second bâtiment est semblable au premier étage du premier bâtiment, avec une pièce commune équipée d'un petit poste de télévision.
Les " retenus " disposent d'une laverie, récemment installée.

En l'absence d'espaces de vie commune et d'équipements,  les " retenus " se regroupent par origine géographique et semblaient , soit rester sur leur lit, soit déambuler dans les couloirs. Le responsable du centre de gestion nous informe qu'une salle de sport équipée et adapté est maintenue fermée faute d'agent pour la surveiller.

En termes d'hygiène une nette amélioration a été apportée d'après les rapports de la CIMADE : mise en place d'une laverie pour les effets personnels, draps changés une fois par semaine.

Une infirmière est présente 20 heures sur 24. Les crédits alloués ne permettent pas de rémunérer une présence permanente. En cas d'urgence, les gardiens font appel aux pompiers et au SAMU.

La nourriture est fournie par une entreprise de restauration. Le respect de la chaîne du froid  et l'équilibre diététique semblent constituer une préoccupation majeure d'après le responsable de la gestion du centre. Cependant les rations qui nous ont été montrées nous ont paru nettement insuffisantes.

S'agissant de l'accès au droit et aux visites des " retenus ", la CIMADE leur apporte son concours lorsqu'il s'agit notamment de déposer un recours au tribunal administratif  (le délai est de 72 heures après la mise en rétention). Les convocations sont affichées la veille au soir.

LA CIMADE attire notre attention sur un autre problème crucial qui constitue une grande lacune selon elle :  le manque d'interprètes,  pour remplir les demandes d'asile avant l'arrivée au centre mais également pour effectuer les démarches nécessaires pour le bénéfice de l'aide des avocats mis au service des retenus par le barreau de Paris.

L'OMI prend en charge les questions pratiques, récupération d'effets, fermeture de comptes bancaires. Les deux agents présents lors de la visite ont mis l'accent  sur leur rôle d'écoute.

Les visites sont limitées par le fait qu'elles sont interrompues pendant les audiences consulaires en raison de l'exiguïté des locaux qui ne permettrait pas, selon les responsables, de garantir la sécurité des consuls si le parloir était utilisé pendant leurs audiences. Les visiteurs sont contraints d'attendre sous un auvent situé sur la route face à l'entrée du centre.

LES AGENTS

Les conditions de travail des personnels sont difficiles car ils subissent également les conséquences de l'exiguïté des locaux.
Les agents du ministère de la Justice sont des contractuels et subissent la précarité de ce statut depuis l'ouverture du centre, il y a dix ans.

Les tâches de restauration et de nettoyage sont effectuées par les personnels des entreprises prestataires.

LE PROJET D'EXTENSION

Ce projet doublera la surface du centre : 76 lits supplémentaires et 11O m2 pour la zone d'accueil, où seront installés un parloir et une pièce indépendante pour les audiences consulaires. Ces travaux dont la livraison est prévue pour février 2006 coûteront environ 4M d'euros.

CONCLUSION :

Pour ces hommes, l'espoir d'installation en France est anéanti en arrivant dans ce centre après un long et chaotique périple. La CIMADE rapporte 20 cas d'automutilation en 2004 pour Paris et Vincennes. Cette situation est aggravée par un problème crucial : l'absence d'un accompagnement psychologique adapté, par des personnes qualifiées. Le manque de vie sociale et l'exiguïté des lieux sont autant de facteurs accablants.

Ce centre de rétention administrative est en fait un lieu carcéral sans en avoir les règles. Il est conçu comme un lieu de passage rapide, or certains y restent plusieurs semaines, et y ont plusieurs séjours.

Comment humaniser cette rétention ? Il faudrait au moins des locaux suffisamment vastes, un réel accès aux droits et un accompagnement psychologique et humain qui aide ces jeunes hommes à surmonter leur détresse. Les conditions actuelles accroissent leur souffrance. Il n'est pas normal que le pouvoir exécutif se décharge de cette tâche sur une association, la CIMADE, sans même lui donner les moyens réels de remplir cette mission dans toutes ces données. Il n'est pas normal aussi que le secret pèse sur ces centres, qu'il soit si difficile d'y accéder. Les lieux fermés se transforment trop facilement en zones de non-dit. Il faut renouveler ce type de visite, et ménager un temps pour rencontrer des " retenus " autrement qu'entre les corridors.

Ce centre conçu pour être temporaire jusque dans le statut de ses personnels, est l'expression de la situation plus générale des sans-papiers dans notre pays, souvent ni expulsables ni régularisables, à laquelle il faudra bien donner une réponse courageuse digne d'un état de droit, comme l'Espagne ose le faire.

Publié dans A Paris

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A
Bonjour et merci d'avoir publié ce billet fort intéressant. Comment avez-vous pu avoir accès à ces lieux ? Est-ce qu'il y a une procédure de demande de visite ? (Je travaille actuellement sur un mémoire sur les enjeux de l'immigration en France, et pouvoir acceder à ce nouveau CRA m'aiderait dans mes recherches.)
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