Quel avenir pour l'école?

Publié le par David

 Voici mon intervention en séance sur un sujet essentiel: l'avenir de l'école!

Tout ça pour ça, monsieur le ministre !

Le 15 septembre 2003, c'est-à-dire voilà un an et demi, jour pour jour, le Premier ministre installait la commission du débat national sur l'avenir de l'école. Dans leur lettre de mission adressée à M. Claude Thélot, président de cette commission, les ministres chargés de l'éducation nationale à cette date écrivaient : " Toutes les forces de la nation doivent pouvoir s'exprimer sur ce sujet fondamental pour l'avenir de notre pays ".
Cette vaste concertation nationale, voulue par le Président de la République, devait - je cite toujours la lettre de mission - " éclairer les principales lignes d'évolution possibles et souhaitables de notre système éducatif pour les dix ou quinze prochaines années " et déboucher " sur un projet de loi d'orientation. "

Avec ce texte, vous avez décidé, monsieur le ministre, que nous en étions au terme du processus. Mais la montagne a accouché d'une souris. La souris, c'est votre projet de loi, monsieur le ministre ! Et voilà qu'en plus vous la faites accoucher aux forceps avec la déclaration d'urgence.

Dans votre dispositif législatif, largement extra-législatif d'ailleurs, vous avez manifestement choisi d'ignorer la plupart des recommandations que la commission Thélot vous a remises le 12 octobre dernier, ou de ne retenir que les plus contestables.
Ainsi, dans le long rapport annexé au projet de loi, qui n'a a priori aucune valeur normative, mais qui vise à introduire, dans un dispositif législatif censé assurer l'avenir de l'école de la République, des circulaires ministérielles, un long développement est consacré à la sécurité dans les établissements.

Louable souci que de vouloir " offrir aux élèves un climat de sérénité et de travail propice à leur éducation et à la progression de chacun " ! Pourquoi pas, en effet, octroyer une base légale au règlement intérieur des établissements pour donner à un tel document, qui doit être partagé par toute la communauté éducative, plus de force ?
Cependant, était-il nécessaire, dans l'esprit des mesures prises par Nicolas Sarkozy au ministère de l'intérieur, de pénaliser ce sanctuaire que doit être un établissement scolaire en transformant en une espèce de délégué du procureur de la République le chef d'établissement, dont vous affirmez, monsieur le ministre, que l'une des fonctions prioritaires est de signaler au Parquet " les infractions pénales en vue de mettre en oeuvre des réponses rapides et adaptées " ?

Tout ça pour ça...

Vous retenez aussi du rapport Thélot la proposition, unanimement rejetée par les syndicats d'enseignants, de faire assurer au personnel pédagogique une présence plus importante dans les établissements, notamment face aux élèves.

Certes, le Gouvernement n'est pas allé jusqu'à intégrer dans son projet de loi une disposition visant directement à accroître la productivité des enseignants. Car n'ayons pas peur des mots : c'est bien de cela qu'il s'agit dans l'esprit de nombre de parlementaires de la majorité, qui ont dû lire avec satisfaction la note confidentielle de la Cour des comptes, dévoilée, par un heureux hasard, le 11 mars dernier, et concluant, sur la base de méthodes de calcul du temps de travail des enseignants tout à fait erronées, que ceux-ci ne passaient pas assez de temps en classe.

Il est tout de même prévu, à l'article 24 du projet de loi, l'ajout d'une mission aux enseignants - assurer les remplacements de leurs collègues dans le même établissement - dont les conditions de rémunération ne sont pas définies, car sans doute pas prévues.

Au final, le résultat de la concertation nationale voulue par le Président de la République sur l'avenir de l'école est malheureusement très faible : objectivement, il se limite à quelques articles d'un projet de loi modifiant le code de l'éducation.

Et vous n'avez même pas daigné revoir cette copie bâclée quand la quasi-unanimité du Conseil supérieur de l'éducation a rejeté le projet le 16 décembre dernier.

Quant au dialogue social avec les représentants des personnels de l'éducation nationale, il a tourné court : le 22 octobre 2004, lors d'une table ronde à Matignon avec les partenaires sociaux, alors que la commission Thélot venait de vous remettre son rapport, vous déclariez, monsieur le ministre : " L'Education nationale réussit et réussira grâce aux fonctionnaires qui la servent et pour lesquels l'engagement personnel dans le service public est chaque jour fortement vécu. "

Quant à la réforme de l'école, vous vous étiez dit prêt à la " porter " avec les syndicats. Au regard des réactions des principaux syndicats d'enseignants et des personnels de votre administration, vous n'avez pas été, apparemment, très convaincant.

Tout ça pour ça...

Il est vrai que le gouvernement auquel vous appartenez n'a guère pour habitude de dialoguer vraiment : le fait d'avoir interdit, en déclarant l'urgence, à la représentation nationale de disposer du temps nécessaire à une délibération approfondie sur un sujet déterminant pour l'avenir de la nation dans les vingt ans qui viennent le confirme de nouveau.

Les syndicats lycéens ont mis cette déclaration d'urgence sur le compte de votre " peur " de débattre, le syndicat des enseignants - SE-UNSA - estimant, pour sa part, que cette déclaration d'urgence illustrait " l'incapacité politique du Gouvernement à mener le dialogue ".

Je vois, dans ce mépris du Parlement, une certaine infidélité du gouvernement de Jacques Chirac à la volonté du Président de la République, Jacques Chirac, que la réforme de l'école de son quinquennat fasse l'objet d'un consensus national. Ce n'est pas la première fois, d'ailleurs, que celui-ci fait l'inverse de ce qu'il dit ! C'est en quelque sorte une seconde nature.

Ce qui m'étonne un peu plus - et je l'ai constaté à l'occasion du débat sur le projet de loi constitutionnelle - c'est la capacité des parlementaires de droite à " s'asseoir " si allègrement sur leurs fonctions quand un ordre leur est donné : l'urgence est déclarée, un coup de sifflet est donné et l'on se met au garde-à-vous !

Tout ça pour ça...

L'une des dispositions du projet de loi d'orientation manifeste en tout cas une curieuse conception du pluralisme. Il s'agit de la composition du Haut conseil de l'éducation, qui remplace le Conseil national des programmes et le Haut Conseil de l'évaluation de l'école, et dont l'indépendance ne sera nullement garantie. 

En effet, les critères sur lesquels seront choisies les personnalités appelées à y siéger ne sont pas précisés. On peut donc craindre le pire !

En tout état de cause, au-delà des acteurs de la communauté éducative, l'ensemble des Français ne peut que s'inquiéter des intentions réelles dissimulées dans ce texte, que l'on soustrait aussi largement à la discussion démocratique.

Que cache votre projet de loi, monsieur le ministre ?

Les objectifs que vous assignez à l'école - conduire 80 % d'une classe d'âge au baccalauréat, 50 % à l'enseignement supérieur, et 100 % à sortir du système éducatif avec une qualification - ne peuvent qu'être partagés par tous les Français.

Si ce projet de loi est adopté, monsieur le ministre, il nous faudra prendre date pour dresser le bilan de son application, afin de vérifier que l'Etat atteint bien ses objectifs. Mais comment le pourra-t-il, alors que, depuis l'arrivée au pouvoir de la droite, les décisions gouvernentales en matière d'éducation ont consisté à supprimer des postes d'aides éducateurs et, concomitamment, à ne pas remplacer 10 000 surveillants ? On dit même qu'il manquera près de 70 000 postes à la rentrée prochaine par rapport à la rentrée 2002.

Afin de privilégier la lutte contre l'échec scolaire lié à l'environnement socio-économique et territorial, lien que les inspections générales de votre ministère jugent, dans leur rapport pour l'année 2004, comme une évidence, la commission Thélot a proposé l'attribution d'une dotation supplémentaire - celle-ci pourrait atteindre jusqu'à 25 % - aux établissements dont les taux d'échec scolaire sont les plus élevés. Vous n'avez pas retenu cette proposition, monsieur le ministre, car vous êtes lucide sur l'évolution de votre budget, et ce alors que les inégalités continuent de progresser de façon préoccupante.

Ainsi, malgré la mise en place des ZEP et l'investissement massif des enseignants, les écarts entre les groupes sociaux sont révélateurs : 68 % des élèves orientés à la fin de la troisième vers un cycle professionnel sont issus des milieux les plus populaires ; 20 % des jeunes d'une classe d'âge quittent le système éducatif sans aucune qualification. La scolarisation en maternelle dès l'âge de deux ans concernait 35 % d'une classe d'âge en 1985. Ce taux n'est plus aujourd'hui que de 28 %. A l'université, les enfants issus des milieux les moins favorisés n'y occupent encore qu'une place marginale.

Quant au redoublement, il est préconisé pour les élèves " faibles " dès le début du primaire, au mépris d'études convergentes dénonçant sa nocivité. Ainsi, 90 % des élèves que l'on fait redoubler au cours préparatoire n'obtiendront jamais le baccalauréat. Le fait que le passage d'une classe à l'autre, au collège et au lycée, ne soit plus automatique à l'intérieur des cycles remet fondamentalement en cause l'organisation des études qui participe à l'égalité des chances.

Dans le même esprit, on voit mal comment la suppression des travaux personnels encadrés, vivement dénoncée par l'Union nationale lycéenne, l'UNL, pourrait contribuer à remédier aux situations d'échec au cours des premières années du cursus universitaire, alors que cette innovation pédagogique permettait justement de favoriser une transition sereine entre le secondaire et le supérieur.

La disparition de nombre d'options destinées à favoriser le travail personnel des élèves dissimule mal le manque de moyens que votre gouvernement a décidé d'octroyer à l'Education nationale. Ce manque de moyens vous contraint à chercher à réaliser des économies partout où vous le pouvez. Cette motivation n'était d'ailleurs sans doute pas totalement étrangère à votre décision d'instaurer, avant d'y renoncer, une forte dose de contrôle continu pour l'obtention du baccalauréat.

Par ailleurs, de toute évidence, l'instauration de mentions au brevet des collèges renforcera, comme le soulignent les organisations lycéennes, l'inégalité et la concurrence entre les établissements, ces tendances risquant d'aggraver le phénomène connu du contournement de la carte scolaire.

Quant à la note de vie scolaire, mesure cohérente avec d'autres dispositions réactionnaires du texte, elle revient à évaluer, de manière tout à fait subjective, le comportement des élèves. Ainsi, trois fois plus de bourses seront désormais attribuées en tant compte du seul mérite des élèves. 

Au-delà de la question, essentielle, des moyens que la nation consacre à l'avenir de ses enfants, vous semblez nier les aspirations des collégiens et des lycéens à suivre une formation de haut niveau culturel et éducatif avant d'être orientés dans la perspective de leur seule insertion dans le monde de l'entreprise.

Or l'option de découverte professionnelle créée en classe de troisième et la décision de conditionner l'orientation des collégiens, en fin de troisième, au " projet de l'élève ", risquent de confirmer une tendance, vivement souhaitée par le patronat, de professionnaliser le système éducatif en enfermant les jeunes, dès leur adolescence, dans une spécialisation toute tracée.

L'insertion professionnelle directe à l'issue de l'obtention d'un CAP obéit à la même logique. Mais qui dit orientation précoce dit également rupture d'égalité entre les élèves.

Qui plus est, il semble bien, à la lecture de votre texte, monsieur le ministre, que vous ayez fait le choix d'un pilotage managérial de l'école, au même titre qu'un quelconque service public industriel et commercial.
" Le projet de loi est très managérial dans sa conception générale. Depuis Jules Ferry, c'est la première loi où la pédagogie est aussi peu présente et où la culture est clairement entrepreneuriale ", concluait récemment le professeur en sciences de l'éducation Philippe Meirieu.

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Ce n'est pas étonnant !

M. David Assouline. Continuez à le traiter d'imbécile !

La " contractualisation ", qui touche peu à peu tous les domaines de l'action publique, s'appliquera désormais à la relation entre l'élève et sa famille, d'une part, et l'établissement scolaire, d'autre part, au travers de l'instauration du contrat individuel de réussite éducative, le CIRE.

Si la mise en place de dispositifs individualisés de suivi des élèves est plutôt à encourager, le CIRE risque de faire porter à la famille de l'élève la responsabilité de l'échec de celui-ci, permettant ainsi à l'institution scolaire, comme le craint l'UNL, de se dédouaner.

En matière de formation des enseignants, si le rapprochement des IUFM de la vie académique des universités est une mesure positive, celui-ci ne doit pas être motivé par la perspective de réaliser de potentielles économies d'échelle en fusionnant les moyens aujourd'hui affectés en propre aux IUFM avec ceux qui sont octroyés aux unités de formation et de recherche, les UFR.

Il importe que la réforme de la formation des enseignants soit plus globale. Leur cursus doit être cohérent, s'étaler sur trois ans et exclure au maximum les périodes de bachotage liées à la préparation des concours. Mais une telle orientation, essentielle pour assurer un haut niveau de formation à nos maîtres, est impossible sans moyens.
Or les 2 milliards d'euros qu'exigera, de votre propre aveu, monsieur le ministre, l'application du projet de loi ne sont pas budgétisés. Il semblerait qu'il faille, pour les obtenir, du moins dans l'esprit du ministère des finances, redéployer des crédits déjà dédiés à l'enseignement et à la recherche.

Plus généralement, à l'occasion du vote du présent projet de loi d'orientation, le Gouvernement veut insuffler à l'éducation nationale une " culture du résultat ". Les contenus des programmes et des enseignements risquent donc de plus en plus, sous couvert d'intégration à l'Europe de la connaissance et de préservation de la compétitivité de la main-d'oeuvre française et sur fond de globalisation économique, d'obéir à une logique marchande.

Les enseignants, les élèves, les parents d'élèves sont-ils prêts à accompagner et à vivre, ou plutôt à subir, cette évolution ? Les manifestants, qui contestent ce projet de loi depuis maintenant plusieurs semaines, démontrent le contraire. D'ailleurs, votre constance, monsieur le ministre, à ne pas vouloir écouter les lycéens, le mépris affiché pour leur façon d'exprimer leur revendication, montrent que ce gouvernement se crispe autour d'une conception étroite de la vie démocratique, excluant celles et ceux, pourtant membres à part entière de la collectivité, qui n'ont pas formellement la possibilité de s'exprimer autrement.

Pourtant, les mouvements lycéens sont bien la preuve d'une réelle maturité. On ricane sur leur éclosion tous les cinq ans. N'est-ce pas le rythme de notre respiration démocratique ? Les citoyens n'élisent-ils pas leurs députés tous les cinq ans ? Ces jeunes, auxquels vous demandez, monsieur le ministre, de faire des choix définitifs quant à leur orientation intellectuelle et professionnelle dès leur adolescence ne pourraient-ils pas voir leur citoyenneté reconnue dès l'âge de seize ans ? Mais il s'agit d'un autre débat !

Lorsqu'on exige d'une génération qu'elle soit responsable, il faut en tirer les conséquences et lui donner les moyens d'exercer cette responsabilité !

En définitive, monsieur le ministre, votre projet de loi d'orientation n'est pas à la hauteur des défis que devra relever l'école de la République au cours des vingt ans à venir. La colère de la jeunesse, qui est la première concernée par ce texte, témoigne qu'il n'est pas fait pour elle. Il n'est pas fait pour l'avenir. Quel gâchis !

Tout ça pour ça...

Monsieur le ministre, levez la procédure d'urgence sur ce texte et continuons à discuter sur le fond ! L'urgence est de voter rapidement un collectif budgétaire, afin de réussir une rentrée 2005 qui s'annonce catastrophique!

Publié dans Mes coups de gueules !

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