Projet de Loi relatif à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur

Publié le par David

Voici mon intervention en séance à l'occasion da la discussion générale sur le Projet de Loi relatif à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur.

"Monsieur le Président,

Monsieur le Ministre,
Cher(e)s collègues,

A l’appui de mon intervention, il me semble utile de citer ce que disait le président de la commission des affaires culturelles de notre assemblée, M. VALADE, dans son allocution d’ouverture du colloque du 9 juin 2005 sur la concentration des médias.

Je cite :
« […] la majorité des médias est devenue en France la propriété de puissants groupes industriels qui se diversifient dans le secteur stratégique de la communication. Les récents investissements dans la TNT confirment bien ces évolutions. Enfin, les mutations technologiques qui permettent le développement de la radio numérique ou la diffusion de la télévision sur les téléphones mobiles changent la donne. Le problème du maintien de la diversité culturelle face à ces mouvements de concentration liés à des exigences économiques est donc clairement posé. »

Ce constat et cette interrogation restent, cher président VALADE, valables.
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Ainsi, dans un rapport du 22 juin 2005 pour le Commissariat général du Plan intitulé « DES MEDIATTITUDES – prospective sur la stratégie de l’Etat dans les mutations des médias », Sylvie BENARD et Bernard BENYAMIN dressent un tableau sans nuances du secteur audiovisuel en France, en particulier de celui de la télévision.

En effet, l’offre télévisuelle gratuite est structurée autour de deux chaînes privées (TF1 et M6) et d’un groupe public (France Télévisions) et l’offre payante essentiellement contrôlée par quatre groupes privés (TF1, Lagardère, Canal + et M6).

En somme, le marché de la télévision en France a pour caractéristique principale un degré de concentration oligopolistique croissant essentiellement dû aux quatre groupes privés que je viens de citer.

Les auteurs n’hésitent pas à écrire que, sur le marché de la télévision, « on a assisté en France à la création d’une économie de rente ».

Ainsi, la télévision gratuite diffusée par la voie analogique hertzienne, qui reste le principal, voire le seul accès à ce média pour de nombreux foyers français, est toujours dominée par deux chaînes privées – TF1 et M6 – qui captent environ 45% de l’audience et 75% des recettes de l’ensemble du marché de la publicité à la télévision.

Ce constat sans équivoque est d’ailleurs partagé par la commission qu’a présidé Alain LANCELOT à la demande du Premier ministre de l’époque, Jean-Pierre RAFFARIN, pour examiner les problèmes de la concentration dans le domaine des médias en France.

Le rapport de cette commission, qui date de décembre 2005, souligne que « le marché de la télévision apparaît comme le plus concentré."

Mais, comme le note la commission LANCELOT, si le marché de la télévision a été jusqu’à présent marqué par une forte inertie, les mutations technologiques qui affectent aujourd’hui la distribution des services audiovisuels sont rapides et de nature à apporter des changements profonds au fonctionnement du secteur.

Or, selon les experts du Commissariat général du Plan, « les évolutions technologiques et économiques de l’audiovisuel vont en termes d’offre plus dans le sens de la concentration du secteur et de la banalisation des contenus». Laissé à lui-même, le marché de la télévision se concentre, se formate, et s’adapte peu ou mal à une demande de plus en plus exigeante en termes de pluralisme de l’offre et de qualité des contenus.

Les bouleversements technologiques en cours participent de la fameuse « révolution numérique », qualifiée de « révolution industrielle majeure » par le président de la République dans son allocution de vœux aux Français du 31 décembre 2005, et ainsi érigée au rang de priorité de l’action gouvernementale pour la dernière année du quinquennat. Ledit quinquennat prenant fin dans moins de six mois, j’imagine que le Gouvernement ne pouvait faire moins que de décréter l’urgence pour permettre l’adoption du projet de loi qui est soumis à l’examen du Sénat aujourd’hui et dont l’objet n’est pas moins ambitieux que de « moderniser » la diffusion audiovisuelle et de « créer » la télévision du futur.

La question qui vient naturellement, spontanément à nos lèvres M. le Ministre, après le constat de concentration élevée et figée du marché de la télévision que je viens de dresser en m’appuyant sur l’avis d’expertises approfondies et officielles, est de savoir si votre projet de loi a effectivement pour objectif de moderniser le paysage audiovisuel français en permettant enfin, par la reconnaissance légale de nouveaux modes de distribution, une réelle diversification des acteurs du marché.

Sans diversité, comment peut-on d’ailleurs garantir le pluralisme des programmes ?

Sachant que le chef de l’Etat se déclarait particulièrement attaché à la défense et à la promotion de la diversité culturelle, je n’attendais donc pas moins que ce texte fût un véritable acte de refondation du secteur de la télévision en France... quoi que.

Comme mes autres collègues de l’opposition, je dois me rendre aujourd’hui à l’évidence : ce gouvernement a acquis la certitude de voir la diffusion analogique disparaître en France dès 2012 en l’achetant à TF1 et M6 en contrepartie de la réquisition d’office, à leur profit, d’une partie du « dividende numérique ».

Ainsi, avec l’objectif de « préserver les grands équilibres économiques du monde de l’audiovisuel »  pour citer vos propres termes, M. le Ministre, l’article 5 du projet prévoit d’introduire un nouvel article 104 à la loi relative à la liberté de communication du 30 septembre 1986 octroyant, lors de l’extinction complète de la diffusion en mode analogique, aux éditeurs d’un service national de télévision préalablement autorisé, un droit d’usage de la ressource radioélectrique pour la diffusion d’un autre service à vocation nationale.

Autrement dit, TF1, Canal Plus et M6 bénéficieront de jure d’une chaîne « bonus » lors de l’arrêt définitif de la diffusion en mode analogique.

Dès lors, on comprend mieux la réaction très vive des nouveaux acteurs de la télévision en France, entrés sur le marché avec le lancement de la TNT, et qui ont dès le 25 juillet dernier dénoncé « la menace » que constituerait pour leurs chaînes nouvelles nées la concurrence des acteurs historiques, assurés de la reprise de leurs chaînes « premium » et de celle d’une chaîne « bonus ».

Mais, les autorités de régulation du secteur de l’audiovisuel et du secteur des télécommunications – respectivement le CSA et l’ARCEP – se sont aussi étonnées de l'attribution à chacun des opérateurs historiques d'une nouvelle chaîne « bonus » après l'arrêt de l'analogique. Cela aurait « pour effet de préempter encore un peu plus le dividende numérique au profit des seuls éditeurs de chaînes existantes », affirmait l'Arcep dans son avis rendu le 10 juillet 2006, et dont la presse a révélé la teneur.

Lorsque la loi devient l’instrument de confiscation d’une partie du domaine public – dont fait partie en l’occurrence la ressource radioélectrique – pour permettre à trois groupes privés de perpétuer la rente acquise sur le marché qu’ils dominent déjà, le Législateur n’est plus que l’otage d’intérêts particuliers dont les liens, en l’espèce, avec certaine éminente personnalité du parti majoritaire sont bien connus.

Bien entendu, on ne peut pas s'imaginer que la majorité a cédé à la tentation d’offrir quelques juteux avantages à l’acteur dominant de l’information télévisuelle, en premier lieu avec les « grands messes » des « JT » de « 13h » et de « 20h », alors que la campagne pour l’élection présidentielle du printemps prochain commence déjà… quoi que.

Je me demande dorénavant comment l’on pourra, si ce projet est adopté en l’état, donner des leçons de vertu à un BERLUSCONI, qui a tiré profit de sa position de président du conseil italien pour avantager honteusement les groupes de médias dont il est propriétaire.

Autrement dit, M. le Ministre, si votre texte entre en vigueur, assistera-t-on à la « berlusconisation » rampante du paysage audiovisuel français ? Est-ce vraiment exagéré que de le dire ?

Ce gouvernement avait déjà gâché tout au long de la précédente session parlementaire, par son improvisation et sa préférence pour le passage en force, le si important débat sur l’adaptation du droit d’auteur à la française aux nouveaux modes d’échange et de diffusion des biens culturels dans la société de l’information.

Pourquoi vous faut-il donc renouveler, M. le Ministre, l’exercice avec ce débat, toujours inscrit dans l’urgence, sur l’avenir de la télévision et de ses modes de distribution ?

Le Gouvernement n’aurait-il pas dû prendre le temps de la concertation avec les acteurs du secteur, tous les acteurs du secteur, pour élaborer un texte ambitieux prenant à la fois en compte les différents scénarios potentiels de développement des nouveaux modes de distribution de la télévision et instaurant, enfin, un mécanisme durable de régulation du marché visant à garantir le pluralisme et la diversité des contenus et des acteurs ?

A ce sujet, on pourrait imaginer de modifier les articles 39 et suivants de la loi de 1986 afin d’interdire à toute société ou à tout groupe de société dont l’activité est substantiellement liée à la commande publique - comme peut l’être une partie importante du volume d’affaires des groupes Bouyges et Lagardère – de participer au capital d’une société titulaire d’une autorisation de diffusion d’un service national ou local de télévision.

Comme le souligne le groupe « MEDIATTITUDES » dans son rapport de juin 2005, une politique active de la concurrence visant à mettre fin à l’économie de rente dont profitent aujourd’hui les acteurs dominants du marché de la télévision en France ne pourra être efficace que si, en parallèle, la place et le rôle du service public sont renforcés, et que si l’autorité de régulation du secteur est dotée des moyens lui permettant d’assurer efficacement sa mission.

Ainsi, est-on bien sûr aujourd’hui que les antennes régionales de France 3 pourront voir l’intégralité de leurs programmes repris en diffusion numérique lors de l’arrêt définitif de l’analogique ?
Est-on bien sûr que les antennes du groupe France Télévisions disposeront des moyens suffisants pour être présentes dans l’offre de télévision mobile personnelle et de télévision haute définition ?
Est-on bien sûr qu’Arte disposera aussi de moyens suffisants pour que ses programmes soient proposés à leur juste place sur les nouveaux modes de distribution ?

Aujourd’hui, les réponses à ces questions sont bien incertaines car le soutien de ce gouvernement au service public de l’audiovisuel est bien faible.

L’offre de nouveaux services de télévision, notamment en haute définition et sur des récepteurs mobiles, doit permettre de renforcer le service public en donnant aux programmes de ses antennes la chance de toucher de plus en plus de Français.

Ainsi, le ministère de la culture et de la communication a pris l’engagement que les contrats d’objectifs et de moyens de France Télévisions et d’Arte France pour la période 2004-2010 préciseraient les modalités de passage au tout-numérique et de diffusion en haute définition des programmes des chaînes.

Or, à ce jour, aucun de ces contrats n’est signé. Même le rapporteur spécial – UMP – des crédits de la mission « Médias » à l’Assemblée nationale s’inquiète que l’Etat n’ait toujours pas de position sur la proposition de contrat d’objectifs et de moyens élaborée par le groupe France Télévisions lui-même. En fait, les administrations de tutelle semblent bien avoir un avis, mais tous différents…

Outre l’absence de vision de l’Etat sur l’avenir du principal acteur du service public de la télévision en France, on ne peut qu’être surpris de voir un gouvernement affirmer que la priorité doit être à l’extinction de la diffusion de l’analogique et à l’émergence de nouvelles offres de télévision et, dans le même temps, refuser de donner à France Télévisions un cadre stratégique et budgétaire pour son développement dans les cinq années qui viennent.

Et j’ose à peine évoquer le sort d’Arte : 10 millions d’euros manquent déjà au budget 2006 de la chaîne pour financer les obligations qui lui incombent en matière nouveaux services (déploiement sur le territoire de la TNT, développement des programmes en haute définition, sous-titrage des programmes pour les personnes sourdes et malentendantes et accroissement de l’investissement en faveur de la production française). Quant au projet de budget pour 2007, il prévoit un effort qui reste en-dessous des besoins de financement… Autrement dit, année après année, la capacité d’Arte de se développer s’érode alors que l’importance d’une chaîne culturelle européenne est reconnue par tous.


En tout état de cause, ces chantiers, si essentiels à la vitalité de notre démocratie, seront réouverts dès que l’heure de l’alternance sera venue."

Publié dans Au sénat

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